Le temps des amélanches

Je croisais de temps à autre ces  arbustes discrets. Je les ai aperçus au fil du temps dans divers milieux, souvent dans l'est du Québec; Gaspésie, Saguenay, autant en milieu maritime qu'en forêt boréale. J'ai mis du temps à les connaître et à les reconnaître, dans tous les sens du terme. 

Mon premier contact conscient avec l'amélanchier s'est produit à cap-aux-os, à l'époque où Gerry Perry possédait la terre surplombant cette partie de la Baie de Gaspé. À l'époque où il y accueillait encore, et depuis 40 ans, des campeurs du monde entier, les abreuvant d'histoires et de chants country en échange de bières bon marché. Gerry Perry aurait mérité un documentaire à lui tout seul. Nous y reviendrons peut-être.


En cherchant les bleuets, cet été de l'an 2000, j'ai mangé inconsciemment son petit sosie; un peu plus gros, aux reflets rosés. L'amélanche. Au goût, l'équilibre entre le sucre, l'eau et l'acidité équivaut à celui du bleuet; les deux cousins sont juteux et sucrés, peu acides, mais tout de même équilibrés. Les arômes diffèrent, toutefois, notamment parce que l'amélanche contient de petits pépins parfumés à l'amande, semblables à ceux de la pomme où de la poire. Voilà. Quelque chose entre le bleuet et la poire, deux représentants de l'immense famille des rosacés.
Est-ce à cause de sa forme où de ses pépins que les anciens l'ont surnommé "la petite poire"?
Quoi qu'il en soit, après avoir consommé par mégarde ce fruit inconnu, j'ai surveillé les symptômes d'un éventuel empoisonnement. Rien. J'ai mis des années à découvrir que j'avais tout simplement goûté un délicieux fruit indigène, éminemment comestible, consommé par les premiers peuples depuis des millénaires. 

Je ne m'explique pas l'ignorance dont fait l'objet aujourd'hui ce fruit incroyable. Du moins chez homo sapiens, car les oiseaux, eux, en font un festin. 

La saison de l'amélanche est courte. Contrairement au bleuet, qui fructifie du 1er août aux premières gelées, l'amélanchier donne ses fruits en une seule fois, durant deux courtes semaines. Comme tous les fruitiers, ses productions sont inégales d'une saison à l'autre.
 C'est peut-être ce caractère éphémère qui explique la rareté du fruit, absent des étals?

Dans tous les cas, cette année, début juillet, après 40 ans de cueillette, j'ai découvert derrière le campus où je viens d'entrer en poste une thalle abondante du précieux fruit bien mûr. Dans la forêt tiède et humide des Cantons-de-l'est, l'arbrisseau a le temps, entre deux gels, d'élancer ses longs fouets vers le soleil et de produire ainsi, les bonnes années, une fructification inespérée.



Mon verger sauvage est fait d'une douzaine de plants atteignant dans les 6 mètres. Chaque branche contient au moins un demi-kilo de fruits que personne ne cueille, par peur ou par ignorance. Pour récolter, il m'a fallu apprivoiser l'espèce progressivement, d'une séance de cueillette à l'autre. Les fruits mûrissent à peu près simultanément en grappes de 4. Ils sont comestibles lorsqu'ils sont rouges et gagnent en sucre à mesure qu'ils virent au violet. Chaque fruit fait en moyenne 13 mm de diamètre. Pour une récolte efficace, il faut dépouiller une branche à la fois, en commençant par les tiges accessibles, puis tendre vers soi les branches les plus hautes. L'arbuste est tellement souple que malgré les apparences, même les fruits les plus hauts sont, en fin de compte, accessibles.



À la mi-saison, j'ai récolté 4 kilos de précieux fruits. D'après mon estimation de ce matin, il en reste à peu près autant à cueillir. Les fortes pluies ne semblent avoir aucune incidence sur la qualité des fruits, bien accrochés à leur branche.
Je transformerai la moitié de ma récolte d'amélanches 2023 en liqueurs sucrées et aromatiques à offrir à la visite, et je congèle l'autre moitié pour ma mère; la seule personne au monde à pouvoir apprécier ce produit à sa pleine valeur, et celle qui m'a tout enseigné.




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